8 février 2006

 

Le service des incendies de Port-au-Prince, Haïti

 

 

Texte et photos: Jean-François Bégin (coll. spéc.)

 

Le métier de pompier comporte des risques que chacun d`entre vous savez calculer durant vos nombreuses interventions sur le terrain. Un équipement de protection adéquat, des véhicules d`intervention respectant des normes, des troupes en nombre suffisant et un réseau d'aqueduc pour alimenter la plupart des camions sur les lieux d`un sinistre.
Mais qu’en est-il quand vous êtes pompier en Haïti et que votre pays est en crise?

Je suis policier de la ville de Québec présentement en mission de paix pour les Nations Unis. A mon arrive ici au mois de juillet 2005, j’ai été affecté au service des incendies de Port-au-Prince étant donné que j ai été policier-pompier durant huit années. Cette affectation m’a beaucoup surpris au départ mais après une visite de la caserne, c’est avec cœur que j’ai accepté de relever le défi.

Voici mon récit d’aventure à la caserne de Port-au-Prince, rue Légitime

Tout d’abord, la caserne de Port-au-Prince se compose de 43 policiers-pompiers et de 13 employés civils pour desservir une population d’environ 4 millions d’habitants. A l’origine, le bâtiment était réservé aux pompiers, mais des suites du régime de Aristide, la caserne est maintenant occupée en majeure partie par le commissariat de police. Les pompiers en sont réduits à être entassés dans des locaux en piteux état. Le dortoir des sapeurs se résume à une petite salle ou quelques lits sont placés de façon à éviter les fuites d’eau du toit. Un dépôt d’équipement se trouve à ses cotés au premier étage.

Toute la magie se passe au rez-de-chaussée. Je dois dire que le premier regard frappe l’imaginaire. Des camions de pompier accidentés en voulez-vous en voila! Pas un seul camion ne brille sous le soleil des Caraïbes. Faute d’en posséder des plus récents, on les use à la corde et on répare avec les moyens du bord . Des camions pas de frein, d’autres avec des pneus lisses comme en formule 1, un camion-pompe-échelle stationné au même endroit depuis 4 ans. Une citerne en panne due à un filtre à l’huile, des véhicules de police criblés de balles etc.

La caserne grouille d’activité le jour. Des gens se rassemblent autour des camions puis passent le temps. On y vend toute sortes de choses et certains vendeurs ont même un compartiment sur des camions en panne pour mettre leurs choses personnelles. On y fait de la mécanique automobile, peinture des tapes tapes (transport en commun). En somme, la pente est abrupte pour redresser la situation. Les pompiers sont les enfants pauvres de la police nationale haïtienne.


Le camion-pompe no 1


Le vieux camion de Jacmel

 

Après une période d’adaptation d’un mois, la situation a commencé à changer pour le mieux pour nous. Nous avons gagné la confiance du chef incendie et de ses hommes. Notre tâche de conseiller technique pouvait aller de l’avant. Tout d’abord il fallait redonner un sentiment de fierté au Service par de petits gestes comme le nettoyage des camions, le rangement des boyaux sur les camions, le ménage du dépôt etc.

Par la suite, nous avons trouvé des fonds pour les réparations de camions. Je n’ai jamais vu des hommes aussi heureux de recevoir des pièces mécaniques comme des filtres à huile, des pneus neufs, des freins et de l’essence pour les camions incendie. Le chef a demandé d’immortaliser la scène sur photos. Ce jour-là, c`était Noël pour les pompiers...


Le Chef et son adjoint avec leux "cadeaux de Noël"

 

Le mécanicien du Service fait des miracles avec comme seul outil quelques clefs, une paire de pinces et un tournevis.


Marco, le mécanicien

 

Nous avons fait un blitz pour réparer les camions avant les élections prévues pour le 7 février. La grande échelle a même repris du service. Le chef des pompiers m’a donné l’honneur de conduire le camion-échelle après toute cette longue agonie. Cette journée a été magique pour moi car j’ai fait le tour du centre-ville avec le camion. Les gens arrêtaient de bouger pour regarder passer un camion qu’on croyait transformer en monument de pompier. On les entendait dire : « Regardez, c’est un blanc qui conduit (en créole) ! »

 

La caserne de Port-au-Prince répond en moyenne à 3 appels par jour, ce qui est beaucoup étant donne les moyens que nous possédons. Il peut s agir de feux de maisons, de voitures, feux de barricades allumés par les bandits, de personne tombé dans une latrine (trou d’environ 12 pieds où les gens du quartier font leurs besoins naturels).Un jour une femme a accouché au dessus d’un latrine en voulant aller aux toilettes. Le bébé naissant s’est retrouvé au fond, flottant .Nous avons été appelés sur les lieux pour le sauvetage. Sans équipement, un pompier ayant déjà vécu pareil cas, a trouvé une chaudière et une corde pour récupérer le bébé. Restait plus qu’à faire entrer le bébé dedans. Un petit coup sec et HOP, il est dans la chaudière! Et vivant! Il est conduit à l’hôpital pour vérifier son état de santé.


Feux de véhicules sur Delmas 48 et près de Cité Soleil

Le métier de pompier n est pas de tout repos ici. Il y a eu de grands feux de marché allumés par des bandits locaux en guise de représailles. Quand les pompiers sont arrivés sur les lieux pour intervenir, des mitraillettes les attendaient. Une fusillade a eu lieu entre pompiers et bandits .Un confrère pompier a perdu la vie ce jour-là. Les pompiers sont toujours armés pour se rendre à un appel car la situation peut dégénérer assez rapidement dans certains quartiers ou bidonvilles. La violence est omniprésente. Il y a des meurtres à chaque jour, des kidnappings à répétition. Nous devons être constamment aux aguets lors de nos déplacements. Je ne me déplacerais jamais en ville sans mon arme de service. À plusieurs reprises via les ondes-radio UN, on nous avise de mettre notre veste pare-balles niveau 3 avec le casque et d’éviter certains secteurs devenus zones rouges. La situation peut changer à tout moment.


Incendie du commissariat de police

 

C’est une expérience extraordinaire que je vis présentement avec les pompiers de Port-au-Prince. Je suis profondément attaché à cette cause car j’ai re-découvert le plaisir d’être pompier pour 9 mois.


Jean-François avec l'opérateur de pompe au retour d'un feu


Jean-François lors du ménage du dépôt

Mon prochain défi consiste à trouver des boyaux incendie pour équiper les camions car ils en ont grandement besoin. Il me reste à trouver un pays donateur pour cette belle cause. Je serai a Québec au début mars et il me fera plaisir de vous montrer d autres photos lors d`une visite dans une caserne de chez-nous. Au plaisir de vous revoir, je retourne à la caserne faire les derniers préparatifs avant les élections. Il me fera plaisir de vous envoyer d’autres photos et des nouvelles de vos confrères Haïtiens.

 

Jean-François Begin
Policier Ville de Québec

jean-francoisbegin2871@hotmail.com


Copyright © 2006 SPIQ.CA, Tous droits réservés.